Comment le climat redessine les infrastructures de transport

Comment le climat redessine les infrastructures de transport

Pour aider les maires des villes de moins de 5000 habitants à prendre la mesure des impacts d’une France à plus 4°C par rapport à l’ère préindustrielle, la FNTP sort une nouvelle arme : InfraClimat. « Loin d’une modélisation pour ingénieurs, l’outil détaillera les conséquences prévisibles des inondations, des retraits et gonflements d’argile, des vagues de chaleurs et des submersions marines sur les routes, les ponts et les stations d’épuration », détaille Bernard Sala, vice-président du conseil des spécialités à la FNTP.

InfraClimat, le tutoriel des TP

« On ne peut pas laisser à l’abandon 2000 Mds€ d’infrastructures », ajoute l’ancien président de Routes de France. Avant d’entamer sa campagne auprès des maires, Bernard Sala présentera InfraClimat au ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, le 4 avril dans le cadre de la co-construction du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc 3).


A partir d’études existantes comme celle de l’Agence de la transition écologique qui chiffre à 260 Mds€ en 2100 l’impact du dérèglement climatique sur les infrastructures, la contribution pédagogique adressée par les professionnels des TP aux élus locaux comprendra une cartographie pour les années 2030 et 2100, des zooms départementaux et régionaux et le retour d’expérience sur un cas d’espèce : les récentes inondations du Pas-de-Calais.

Le Tracc, une boussole climatique

Au cœur du réacteur du Pnacc 3 et de son application aux infrastructures des transports, la direction générale des infrastructures des transports et de la mobilité (DGITM) met la dernière main sur sa boussole : le Tracc, acronyme de Trajectoire de référence pour l’adaptation au changement climatique.


« Sauf pour l’élévation du niveau des mers, les impacts résultent directement du niveau de réchauffement, ce qui simplifie le travail », souffle André Horth, inspecteur général des routes à la DGITM. Cette corrélation permet à l’administration de s’appuyer sur le portail Drias de Météo France (acronyme de Donner accès aux scénarios climatiques régionalisés français pour l’impact et l’adaptation de nos sociétés et environnement), qui donne accès aux scénarios climatiques régionalisés issus des travaux du groupement intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec).

ASAIT, une méthode prospective

Attribuée à Setec en vue d’un rendu mi-2025, l’étude des 21073 km de réseaux concédés et non concédés de l’Etat, valorisés à 311 Mds€, fait partie des premiers exercices engagés en anticipation du Pnacc 3. Elle comprendra trois volets : la vulnérabilité, le coût de l’inaction et les pistes d’adaptation. « D’autres gestionnaires d’infrastructures pourront décliner la méthodologie qui préside à ce travail », précise André Horth. Le modèle prend en compte 20 aléas dans une maille de carrés de 8 km de côté.

Signée par le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), une autre contribution méthodologique de l’Etat se désigne déjà par son sigle : ASAIT, comme Approche systémique de l’adaptation des infrastructures de transport. De la définition des objectifs à la mise en œuvre des stratégies, elle se décline en cinq piliers et dix étapes.

Travaux pratiques à SNCF Réseaux

Rodée dès 2019 par la Nièvre sur son réseau routier dans le cadre de l’élaboration du plan climat air énergie territorial, ASAIT a convaincu SNCF Réseaux, même si Yann Freson, responsable de la stratégie nationale à la direction générale Stratégie et Affaires, précise d’emblée les limites de l’exercice : « Impossible de prétendre à l’exhaustivité, sur nos actifs hétérogènes répartis sur un réseau de 40 000 km ».

Un chiffre illustre la charge climatique qui pèse sur le gestionnaire du réseau ferroviaire : aux conditions économiques de 2022, SNCF Réseau s’attend à une augmentation annuelle de 100 M€ des coûts de débroussaillage, dans les années 2100. « L’impact se traduit par des incidences chroniques, en usure et dégradations, et donc en maintenance », commente Yann Freson.

Le sud, pionnier multimodal

Au cas par cas, la stratégie en cours d’élaboration vise à arbitrer entre quatre leviers d’adaptation. Du plus cher au plus pénalisant pour le service, la liste comprend la robustesse, la résistance, la redondance et le repli. « Le sujet ne relève pas que du génie civil. Il comprend également l’intelligence artificielle, utilisée pour simuler les impacts sur un jumeau numérique de nos infrastructures », détaille Yann Freson.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), l’essaimage d’Asait se traduit dans l’une des premières études associant plusieurs familles d’infrastructures. Le conseil régional et l’Etat cofinancent l’exercice qui associe les gestionnaires de voies routières, fluviales et ferroviaires, dans un territoire qui cumule les risques issus de la montagne, de la mer et d’un climat surexposé au réchauffement.

Pas d’adaptation sans atténuation

« La vision d’ensemble facilitera l’identification de solutions qui débordent des emprises des infrastructures, comme la désimperméabilisation, les haies ou la transparence hydraulique », relève Thibaut Limon, expert en transition écologique dans les transports à mission Prospective de la direction générale Mobilités de la région Paca.

L’exemplarité de l’approche globale en cours de démarrage réside aussi dans la prise en compte simultanée des deux facettes du défi climatique : « Nous pensons l’adaptation à travers le prisme de l’atténuation », résume Thibaut Limon. Entre incendies, sécheresses et inondations, le quotidien des méditerranéens justifie le double objectif de l’étude.

Sur la route du solaire

A l’échelle nationale, le lien entre atténuation du réchauffement climatique et infrastructures se manifeste dans le domaine des énergies renouvelables. Là encore, l’Etat montre l’exemple. Dans la foulée de deux installations pilote mises en place sur la Route nationale 10, les directions interdépartementales des routes (Dir) ont identifié trois cibles, pour appliquer la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables du 10 mars 2023 : « Nos bâtiments techniques, les aires de repos et les délaissés, en particulier les échangeurs », énumère François Duquesne, directeur de la Dir Atlantique.

Fin juin, l’Etat disposera d’une évaluation du potentiel photovoltaïque de l’ensemble de son réseau non concédé. Au second semestre, il lancera une consultation par grappes de projets, sous forme d’appel à manifestation d’intérêts. « Les travaux présentent l’intérêt d’une bonne accessibilité aux PME locales, et ils contribueront à forger notre image d’acteurs de la transition énergétique, à partir d’un héritage issu de la culture routière », se réjouit François Duquesne.

Objectif 3 GW pour Vinci Autoroutes

Les procédures aboutiront à la signature de deux à six contrats d’autorisation d’occupation temporaire, pour des durées proches de 30 ans et une puissance installée d’environ 1 GW. Le ministère des Transports bénéficie de l’appui du Cerema et de FinInfra, entité rattachée au ministère de l’Economie.

Exploitant d’environ la moitié du réseau autoroutier français, soit 4 400 km, Vinci Autoroutes a confié dès 2020 une démarche comparable à sa filiale Solarvia. « Nous évaluons le potentiel à un maximum de 3000 MWc répartis sur 500 sites, mais les contraintes locales nous feront sans doute tomber un peu en dessous », annonce son directeur général Raphaël Ventre.

Les routes du Gers chauffent trois collèges

Les études préalables ont montré la rentabilité potentielle d’emprises de 0,5 à 1 ha. 70 parcs entreront en service dès la fin 2025, pour une puissance de 350 MWc. Solarvia prévoit la fin du déploiement en 2028. La responsabilité des 800 M€ de travaux incombera aux opérateurs sélectionnés pour des contrats d’une durée de 30 ans, dont les 20 premières années avec des tarifs garantis.

L’utilisation des emprises routières pour la production énergétique ne se limite pas au photovoltaïque. Le département du Gers le démontre : trois chaufferies alimentent des collèges avec des produits de l’élagage et du débroussaillage des arbres et des haies qui longent les 2285 km de routes départementales.

Nouvelles énergies fluviales

Cette démonstration inspire l’étude de réseaux de chaleur et l’idée de créer une société dédiée à l’achat et à la vente de la biomasse routière départementale, en partenariat avec les agriculteurs. Directeur général adjoint aux investissements et aux territoires, Thierry Cayret y voit « une formidable opportunité pour relier le développent durable à l’agriculture départementale ».

Après les routes, les fleuves ! Confrontée à l’épuisement des ressources hydrauliques issues des glaciers alpins, la Compagnie nationale du Rhône projette des ombrières solaires sur ses digues et sur les véloroutes qui bordent la voie navigable. En 2025, le démonstrateur de Caderousse (Vaucluse) ambitionne le franchissement d’un saut technologique pour mettre fin aux déperditions d’énergie dans le transport : dans ce but, une ligne à 5 kV en courant continu transportera l’électricité jusqu’à l’interface avec le réseau public en courant alternatif.

Démonstrateur rhodanien

Baptisée Ophélia et soutenue par l’Etat français et l’Ademe, cette opération associe Nexans pour les câbles et Schneider Electrique pour l’appareillage. L’ombrière se développera sur 800 m de long pour une puissance d’1 MWc. En phase d’appel d’offres, ce prototype illustre le besoin d’innovations, pour mettre les infrastructures de transport au diapason du changement climatique.

Pour y répondre, les pôles de compétitivité spécialisés d’Auvergne Rhône-Alpes (Indura) et Bourgogne Franche-Comté (Ecorse) se sont associés à l’Institut pour la recherche appliquée et l’expérimentation en génie civil (Irex) pour créer Infra 2050 en décembre dernier. « Trente experts reconnus identifient les sujets et labellisent les projets », annonce son trésorier Pierre Alain Roche, rapporteur général du comité d’orientation des infrastructures. Infra 2050 prépare un séminaire prospectif qui se tiendra le 13 juin prochain à Bron (banlieue de Lyon).

Vers une culture dégenrée

Autre vivier d’innovations, l’université Gustave Eiffel joue sur sa mission d’appui aux politiques publiques, déclinée dans les domaines les plus divers, comme le montre cet exemple cher à son vice-président Jean-Bernard Kovaric : « Consacré aux coronapistes qui ont servi de point d’appui à des aménagements cyclables durables, le projet Vélotactique, financé par l’Agence nationale de la recherche, aboutit à un changement de paradigme. L’évaluation des infrastructures doit-elle toujours se plier à l’obsession des gains de temps ? N’y a-t-il pas d’autres objectifs d’intérêt général ? »

Derrière les enjeux techniques, ces questions révèlent l’émergence d’une nouvelle culture de la mobilité. Les professionnels ne ménagent pas leurs efforts, pour y intéresser les jeunes générations, et en particulier les jeunes filles : « Il faut déconstruire le rejet genré des sciences », proclame Pascale Dumez, présidente de l’Ingénierie de la maintenance du génie civil au syndicat Syntec Ingénierie. L’organisation lance dans ce but sa campagne « Alice au pays de l’ingénierie ».

Nouveaux usages

En abandonnant récemment la scission de son organisation entre services et infrastructure, la DGITM apporte sa contribution à cette mutation culturelle : « Il n’y a pas d’infrastructures sans usages, et réciproquement », proclame Pascal Rossigny, adjoint au chef du département de la Transition écologique, de la doctrine et de l’expertise technique.

Cette profession de foi ouvre l’administration à toutes les mobilités : « Serm, vélo, cars express… Les usages se multiplient. Les réponses exigeront un travail de dentelle qui partira des projets de territoire », annonce Pascal Rossigny. Cette ouverture vers un avenir désirable témoigne du tour de force réussi par l’Institut des routes, des rues et des infrastructures de la mobilité, lors de son congrès consacré au climat, les 26 et 27 mars à Montpellier : même lorsqu’elles s’emparent d’un sujet anxiogène, les infrastructures font toujours rêver.

Passage de témoin

 

Le président de l’Allier succède à celui de la Haute-Saône : après 14 ans à la présidence de l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Iddrim) qu’il a porté sur les fonts baptismaux, Yves Krattinger a passé la main à Claude Riboulet, le 27 mars au congrès de Montpellier.

 

La continuité prime sur l’alternance gauche droite, dans ce passage de témoin : la présidence accordée à un élu rural rappelle la place majeure de la lutte contre les fractures territoriales, dans les thèmes portés par le think-tank des mobilités.

 

La succession présidentielle précède d’un mois celle des directeurs : Jérôme Weyd, adjoint à la sous-direction Gestion du réseau routier national du ministère des Transports, succèdera fin avril à Didier Colin à la direction de l’Iddrim.

 

Construit sur le triptyque Etat Entreprises Collectivités, l’organisme réfléchit à un élargissement en direction des usagers. Au congrès de Montpellier, la participation de Camille Thomé, directrice de l’association d’élus Vélo et Territoires, a donné un visage cette perspective.

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