Qu’est-ce que B Corp, la certification que les marques de mode veulent toutes décrocher ?

Qu’est-ce que B Corp, la certification que les marques de mode veulent toutes décrocher ?

A la mi-octobre, la marque de lingerie Ysé l’annonçait fièrement sur ses réseaux sociaux : “Ysé est B Corp”. À ses abonné-e-s, la griffe expliquait qu’il s’agit d’un label “progressiste et exigeant, qui reconnaît les bonnes pratiques des entreprises en termes d’impact social, environnemental et sociétal.” 

L’entreprise fondée par Clara Blocman en 2012 allonge la liste des acteurs français de la mode étiquetés Benefit Corporation. Rien qu’en France, ils sont 21 (sur 490 sociétés, tous secteurs confondus), parmi lesquels Angarde, Le Slip Français ou encore Faguo.

“Nous l’avons reçue en 2021”, raconte Nicolas Rohr, co-fondateur de la marque de prêt-à-porter masculin. “Tout a commencé alors que nous nous intéressions au statut d’entreprise à mission qui se créait en France. À cette époque, nous apprenons qu’il existe aux États-Unis un label qui distingue les firmes dont la mission n’est pas uniquement de faire du profit, mais plutôt d’avoir une croissance saine tout en respectant l’humain et la planète“.

Faguo, qui plante depuis ses débuts un arbre à chaque produit vendu, peut se vanter d’être la première marque de mode à la fois B Corp et société à mission en France. Mais la toute première à obtenir la certification au sein de l’Hexagone, c’est Veja, en 2018.

À l’époque, le spécialiste de la sneaker minimaliste assume une démarche radicale par rapport au reste de l’industrie et propose des produits aussi bien durables qu’équitables. “Le label nous a permis de formaliser beaucoup de choses : le code de conduite des fournisseurs, le code de conduite des employé-e-s et le guide des employé-e-s, commun à toutes nos équipes dans le monde”, analyse rétrospectivement la société. 

Une grille de points exigeante

S’il y a aujourd’hui plus de 9 300 entreprises dans le monde labellisées B Corp, l’histoire de cette appellation a moins de 20 ans. En 2006, Andrew Kassoy, Bart Houlahan et Jay Coen Gilbert, devenus amis sur les bancs de l’université de Stanford, réfléchissent à une meilleure façon de faire du business, qui serait profitable aux travailleur-euse-s, aux communautés et à la planète. L’année suivante, 82 entreprises sont reconnues B Corp.

Elles sont les toutes premières de l’histoire à recevoir la certification. Celle-ci s’adresse à toutes les compagnies à but lucratif qui ont au moins un an d’existence, exception faite de celles qui exploitent des combustibles fossiles ou qui font du lobbying anti-climatique. Les entreprises doivent répondre au BIA (B Impact Assessment), un formulaire de 200 questions, divisé en cinq grandes thématiques : l’environnement, les collaborateur-rice-s, les client-e-s, la collectivité et la gouvernance de la société.

Chez Sézane, B Corp depuis 2021, c’est précisément cet aspect “360° sur tout l’impact concret de l’entreprise” qui a séduit les équipes en charge du sujet : “C’est important de prendre en compte la gestion des sujets RSE en interne, sur la partie relation avec les fournisseurs, par exemple. Nous sommes convaincu-e-s que sans ces derniers, nous ne sommes rien, parce que Sézane est une aventure collective”, confirme Sarah Vienne, en charge de la responsabilité sociale et environnementale de la griffe fondée par Morgane Sézalory en 2014.

Pour être labellisé, il faut obtenir 80 points, un minimum que 50 % des postulants n’arrive pas à atteindre. Faguo, en revanche, peut se féliciter pour son score de 95,6 et Ba&Sh de sa note de 98. Des résultats louables, mais très loin de ceux de Patagonia, spécialiste du vêtement outdoor américain, qui affiche un brillant 166/200. Il est par ailleurs nécessaire de modifier les statuts de l’entreprise pour y inscrire l’impact social, écologique et sociétal au cœur de sa raison d’être.

Un cadre de travail

Le point commun de Faguo, Ba&Sh et Sézane ? Toutes affirment que la certification agit comme un cadre, qui permet de mesurer les progrès à effectuer et les points d’améliorations sur lesquels se focaliser. “B Corp nous aide à connaître, à souligner nos faiblesses en tant que projet et à créer de meilleures règles et objectifs”, résume-t-on chez Veja.

C’est pour cette raison que certaines marques, comme Ba&Sh, remplissent le BIA une première fois pour évaluer leur situation et comprendre les postes qu’elles doivent investir pour progresser, avant d’essayer de décrocher le label. En l’occurrence, la griffe a planché quatre ans sur le sujet et a notamment mis l’accent sur la seconde main en reprenant les anciens vêtements de ses clientes, ensuite revendues dans des magasins éphémères. Elle a aussi rapproché ses sites de production et privilégie le train ou le bateau pour acheminer sa marchandise.

Mais attention : la certification, dont le coût varie en fonction de la taille de la société – les membres de B Lab auditent en détail chaque postulant – n’est valable que trois ans.

 Après cette échéance, il faut à nouveau soumettre l’ensemble de ses pratiques à l’ONG. Camila Garcia, coprésidente de la branche française de l’association, tempère : “Au sein de l’Hexagone, seules 5 % des entreprises n’arrivent pas à conserver leurs certifications“. “Généralement, c’est parce qu’elles n’ont pas réussi à adopter la démarche d’amélioration continue”, poursuit celle qui pilote, en plus de son activité associative, la RSE Europe de Kellog’s.

C’est précisément cette remise en question permanente des pratiques de l’entreprise que les marques trouvent stimulante. “Les mesures d’impact évoluent constamment et nous permettent d’aller de plus en plus loin à chaque réévaluation”, estime Nicolas Rohr.

La plateforme de seconde main Vestiaire Collective, qui a intégré la communauté en 2021, abonde dans ce sens : “Au quotidien, nous utilisons désormais B Corp comme un appui. Chaque collaboteur-rice, lorsqu’iel fait son métier ou prend une décision, a ce filtre RSE en tête et réfléchit à l’impact de ses actions”. Un garde-fou autant qu’un moteur, en somme.

Un cercle vertueux

Communiqués envoyés à la presse, publications Instagram, signalétique en magasin… Quand une griffe obtient son label, elle le fait souvent savoir à sa communauté. En l’occurrence, Ba&Sh a choisi de réaliser des vidéos qui mettaient en scène des enfants chargés d’expliquer aux adultes les différentes mesures prises par la marque.

Chez Sézane, la communication sur le sujet n’a pas été frontale. En revanche, l’entreprise mise sur la transparence et affirme rendre disponible “en deux clics sur le site” toutes les informations relatives à la RSE.

Mas celleux sur qui B Corp a le plus d’effet, ce sont peut-être les employé-e-s : “Iels sont très fier-ère-s de ce que fait la marque”, affirment Barbara Boccara et Sharon Krief, les fondatrices de Ba&Sh. Un effet positif qu’a aussi constaté Vestiaire Collective : “Pendant 2 ans après l’obtention du label, les candidat-e-s que nous recevions en entretien nous parlaient de B Corp. La certification rassure les postulant-e-s sur la marque employeur et leur promet d’évoluer dans une entreprise au sein de laquelle la mission est au cœur des valeurs”.

Dernier avantage de B Corp : son aspect communautaire. Regroupées en unités nationales, les entreprises, issues de secteurs très différents, ont la possibilité d’échanger et de s’entraider sur les problématiques communes qu’elles rencontrent. D’autres montent des collaborations, comme Chloé, seule marque de luxe détentrice du label, et Vestiaire Collective. Dans un tout autre genre, plateforme de seconde main premium a récemment refait son siège parisien. Pour sélectionner ses fournisseurs, elle a privilégié les entreprises B Corp afin de travailler avec des “personnes qui [lui] ressemblent”.

Un système remis en question

“Quand j’ai commencé à travailler dans le monde de B Corp, aucune griffe de mode ne faisait partie de la communauté. À partir du moment où certaines y sont entrées, cela a créé une vague de motivation que je n’avais pas constatée dans les autres secteurs”, se souvient Camila Garcia. Ce qui est une bonne nouvelle, puisque cela indique que les acteurs de l’industrie sont de plus en plus nombreux à se soucier de leur responsabilité. Mais quelques critiques commencent à fuser. Sur la perception du label, d’abord, qui est souvent assimilé à une garantie écoresponsable.

Or, B Corp n’évalue pas seulement les bonnes pratiques environnementales de l’entreprise, qui ne correspondent qu’à l’un des cinq axes du formulaire BIA. En raison de ce mode d’évaluation, une compagnie aux standards sociaux très élevés peut parfaitement être certifiée B Corp malgré des pratiques environnementales controversées.

Principalement plébiscité par les PME, B Corp est aujourd’hui aussi obtenu par des multinationales, comme Danone, Evian ou Nespresso. Le fournisseur officiel de café de George Clooney a reçu la certification en 2022, avec 84,3 points, et ce, malgré ses dosettes à usage unique qui font grincer les dents des écolos. Pour communiquer autour de cette obtention, le spécialiste de l’espresso a décidé de payer des articles promotionnels dans la presse, comme sur le site des Echos en décembre 2023.

Consciente de ces critiques, B Lab a lancé une consultation publique en 2024 auprès des membres de la communauté pour établir de nouveaux standards B Corp, qui devraient être publiés début 2025. À moyen terme, l’association prévoit la disparition de son système de points et compte instaurer des exigences minimales à atteindre dans huit thématiques d’impact. C’est peut-être ça, d’ailleurs, l’un des atouts majeurs de l’organisation : son adaptabilité.

Ainsi, Vestiaire Collective, dont le business model circulaire exclut la production de nouveaux articles, ne pouvait pas engranger de points sur les questions liées aux matières premières. “Nous avons dû pousser B Corp à réfléchir sur le sujet et sur la pertinence de l’économie circulaire dans l’industrie de la mode”. Et cela a fonctionné, puisque la plateforme a réussi à obtenir une compensation qui lui a fait atteindre un total de 89,1 points, entraînant dans son sillage d’autres sociétés dont la seconde main est le cœur de métier.

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